jeudi 18 février 2016

PMA: LE GOUVERNEMENT TRAVAILLE A APAISER LA SOCIETE... POUR MIEUX L'IMPOSER !

Par Edouard in Libération

Laurence Rossignol : «Tout le monde puise dans la culpabilité des femmes»

Peut-être vous êtes-vous rendu compte que les sujets sur la PMA sont rarement traités par nos médias. Vous apprendrez dans cette interview pourquoi il en est ainsi... ONLR.

Face à la gronde de certaines féministes, la ministre de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes défend le regroupement de ces trois sujets au sein de son portefeuille.

    Laurence Rossignol : «Tout le monde puise dans la culpabilité des femmes»

Les faits sont têtus : le temps d’un quinquennat, les droits des femmes auront - du moins de façon symbolique - considérablement rétréci, passant d’un ministère de plein exercice (occupé par Najat Vallaud-Belkacem) à un secrétariat d’Etat rattaché aux Affaires sociales (Pascale Boistard) pour finir, certes dans un ministère, mais accolé… à la Famille et à l’Enfance. A la tête de ce triple portefeuille, Laurence Rossignol, 58 ans, ancienne militante du Mouvement de libération des femmes (MLF) et secrétaire d’Etat chargée de la Famille, des Personnes âgées, de l’Autonomie et de l’Enfance depuis avril 2014. A peine était-elle nommée la semaine dernière que les réactions ont fusé. «N’est-ce pas enfermer les femmes dans le rôle stéréotypé qui leur est assigné depuis des siècles : celui d’épouse et de mère ?» a, entre autres, lancé Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Les piques ont-elles atteint la ministre ? Entretien autour de cette polémique, mais aussi sur les grands dossiers qui touchent les femmes et la famille.

Vous venez d’être nommée ministre de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes. Une triple casquette qui fait grogner les féministes. Vous vous y attendiez ?


Oui. C’est un débat qui traverse le mouvement féministe depuis toujours. Je ne suis pas surprise par leur réaction, je la trouve même très stimulante et intéressante. C’est une bonne façon d’ouvrir la discussion sur l’articulation entre famille, enfance et droits des femmes. En ce qui concerne le périmètre du ministère, il n’y a pas de formule magique. Un ministère autonome, c’est bien aussi, mais c’est un ministère qui doit perpétuellement aller chercher ses moyens d’actions et la mise en œuvre de ses politiques auprès des autres ministères. Aujourd’hui, j’ai dans ma boîte à outils la politique familiale, c’est-à-dire les prestations de la Caisse d’allocations familiales (CAF). Par ailleurs, pour moi, cet intitulé est cohérent. J’ai toujours observé que la gauche était mal à l’aise avec le sujet famille. A tort. Elle a souvent laissé ce sujet au camp du conservatisme. Or, la famille n’est un sujet ni de droite ni de gauche : c’est juste notre vie quotidienne d’êtres humains. Cette difficulté de la gauche face à la famille a probablement sa source dans Marx, qui disait : «Dans la famille, l’homme est le bourgeois ; la femme joue le rôle du prolétariat.» Moi qui suis militante féministe depuis mes 17 ans, j’ai toujours pensé qu’on passait à côté de quelque chose dans l’articulation réelle femmes-familles, féminisme et familles.

Pour certaines, notamment le Haut Conseil à l’égalité, allier femmes et famille, c’est vouloir renvoyer les femmes à la maison…

Aujourd’hui, le vrai sujet n’est pas tant de savoir si les femmes vont revenir à la maison, mais plutôt de savoir comment elles sortent du travail à temps partiel - dans un tiers des familles, les femmes n’occupent pas un emploi à plein temps -, de la double journée et des inégalités salariales. C’est bien dans la famille que se noue une grande partie des inégalités. Ce qui caractérise les femmes d’aujourd’hui, c’est qu’elles sont encore trop nombreuses à renoncer ou renvoyer leur projet professionnel en raison de leurs responsabilités familiales. Encore maintenant, 40 % d’entre elles changent leur projet professionnel à l’arrivée d’un enfant, alors que l’écart de rémunération entre les deux membres d’un couple qui travaillent à temps plein est en moyenne de 4 %. Et il y a surtout les familles monoparentales, dont l’augmentation est spectaculaire, près d’une famille sur quatre aujourd’hui : elles ont été ma priorité dès que j’ai été nommée secrétaire d’Etat chargée de la Famille.

Qu’avez-vous fait pour elles ?

Au 1er avril, le dispositif de Garantie d’impayés de pensions alimentaires (Gipa) sera généralisé. L’expérience a été menée dans 20 départements, elle est concluante. D’ailleurs, cette mesure relève-t-elle de la politique familiale ou du droit des femmes ? Je travaille aussi à la création d’une agence de recouvrement des pensions alimentaires. Enfin, je suis en train de mettre en place avec des associations un réseau d’entraide en faveur des familles monoparentales pour lutter contre leur isolement spécifique, qui s’ajoute à leur précarité.

Comptez-vous lutter contre le travail à temps partiel des femmes ?

Je me méfie un peu de la distinction entre temps partiel «subi» et «choisi» : le temps partiel choisi, c’est celui des femmes qui considèrent qu’elles doivent adapter leurs horaires de travail à la nécessité ou à leur désir de s’occuper de leurs enfants. Je connais peu de femmes sans enfant et qui ne travaillent pas le mercredi, par exemple… Le recours au temps partiel est donc bien lié directement à la responsabilité particulière qui pèse sur les épaules des femmes pour s’occuper des enfants. Alors que faire ? Poser la question aux pères et leur demander, pourquoi pas eux ? Ils ont sans doute aussi le désir de s’occuper davantage de leurs enfants.

N’y a-t-il pas une façon plus contraignante d’agir ?

C’est compliqué… C’est «choisi» ! Je défends avant tout l’idée que chacun crée la famille qu’il veut, je ne veux donc pas promouvoir un modèle-type de famille. Pour autant, j’identifie bien les trappes à inégalités : le temps partiel se paie à la retraite, par exemple. Mais lorsqu’une femme me dit, «je veux être aux trois cinquièmes pour davantage m’occuper de mes enfants», je respecte son choix. Voilà pourquoi je préfère développer les modes d’accueil. Par exemple, la création de crèches VIP, à «vocation d’insertion professionnelle» : on y trouve des berceaux pour les enfants des femmes en insertion professionnelle. Développer ces crèches, c’est aussi travailler pour les droits des femmes. Lorsque j’étais secrétaire d’Etat, nous avons développé les places d’accueil pour les petits. Mais pas autant que nous le voulions, hélas. Les budgets sont là, et l’Etat a remis au pot, mais ce sont les communes, dont c’est l’une des compétences, qui ne s’engagent pas assez.

Au fond, pourquoi les inégalités entre les femmes et les hommes persistent tant ?

On dispose en France d’un important socle de lois sur l’égalité : code civil, code du travail, loi du 4 août 2014 sur l’égalité réelle, et, à spectre large, on a de nombreux leviers. Mais si les choses vont aussi lentement, c’est parce que dans la famille elle-même, les évolutions sont extrêmement ténues, modestes. Par exemple, plus de 60 % des femmes considèrent que lorsqu’il y a un besoin urgent dans leur famille et qu’elles sont au travail, elles ne peuvent pas compter sur leur conjoint ; et in fine, c’est toujours la mère qu’on appelle. Observons aussi la répartition des tâches ménagères : ça bouge à peine. Pour autant, je ne peux pas faire une loi pour répartir les tâches ménagères dans la famille ! L’un des leviers est sans doute la lutte contre les stéréotypes. Et encore une fois, la famille est le lieu où tout se déroule, où se transmettent les stéréotypes et où se jouent les futures inégalités. Je suis par ailleurs très étonnée de vivre dans un pays où l’on ne parvient pas à dire tranquillement qu’à partir des différences sexuées se construisent des inégalités qui n’ont rien de biologique.

Et dans l’immédiat ?

Il faut déculpabiliser les femmes. Elles paient cher. La double journée, les projections diverses sur la réussite des enfants, les discours de type «tout se joue avant 3 ans». La culpabilité des femmes, c’est le compte épargne de toute la société : tout le monde puise dedans, c’est une mine d’or. Il faut le dire. Le redire. Je ne veux pas d’un ministère de la parole, la bataille féministe est aussi une bataille culturelle.

Vous allez la mener, cette bataille ?

Je n’ai jamais arrêté. Regardez mon compte Twitter ! La spécificité de la lutte féministe, c’est que les mécanismes de domination homme-femme sont complexes et touchent aussi à l’intime. Dans une usine, il est rare qu’un délégué syndical soit amoureux de son patron. En revanche, les hommes et les femmes sont liés dans leur couple par des rapports affectifs forts. Concernant mon engagement féministe, je vous rappelle que je me suis beaucoup engagée dans la loi sur la prostitution. J’ai été l’une des premières politiques à essayer de convaincre de la nécessité d’un texte de loi incluant la pénalisation du client. J’étais assez seule. Puis, en 2014, j’ai été rapporteure de cette proposition de loi au Sénat. Je retourne au Parlement dans quinze jours pour conclure le parcours parlementaire de cette loi. Ce texte est très important pour moi.

Cent trente centres d’IVG ont fermé en dix ans. L’interruption volontaire de grossesse n’est-elle pas menacée ?

Des centres ont été regroupés, mais on ne pratique pas moins d’interruptions volontaires de grossesse. Depuis 2012, l’accès à l’IVG a été renforcé. Marisol Touraine [la ministre de la Santé] a augmenté la rémunération des professionnels pour ces actes. Les sages-femmes peuvent désormais pratiquer des IVG médicamenteuses. Il y a toujours des gens hostiles à l’avortement, mais ce camp s’est réduit au cours des dernières années. Simone Veil a des héritières dans son camp. Si une remise en cause se profilait, nous pourrions compter sur un bon nombre de femmes de droite pour faire front.

Le comité d’éthique a été saisi par le Président en janvier 2013 sur la question de l’ouverture de la PMA aux lesbiennes et aux célibataires. Jusqu’à quand va-t-on attendre son avis ?

Je n’ai pas plus de raisons aujourd’hui qu’hier, quand j’étais en charge de la famille, de relancer ce dossier. A titre personnel, j’y suis favorable pour les couples lesbiens, et il me semble que toute la gauche l’est. Le problème est clair : jusqu’où fait-on remonter le niveau d’excitation ? Ma crainte la plus grande, c’est le procès en diversion. Je ne veux pas qu’on dise que la gauche lance des débats de société pour faire diversion, comme cela a été le cas à la fin du débat sur le mariage pour tous. Les vociférations de la Manif pour tous ont tout paralysé. Je ne veux pas être impuissante dans tout ce que j’ai à faire par l’enlisement d’un débat sur la PMA. Or, vous prononcez «PMA», et déjà les réseaux sociaux s’enflamment. Ces sujets doivent être traités par une société apaisée. Je travaille à l’apaiser.

Et la gestation pour autrui (GPA) ?

Il n’y a rien de nouveau à en dire. On sécurise la situation des enfants. Leurs droits ne sont pas négociables. Mais je suis profondément opposée à ce que la GPA soit légalisée en France. C’est un commerce mondial sur le ventre des femmes. La position de la France ne bougera pas sur ce sujet.

Qui ont été vos grandes inspiratrices féministes ?

Les femmes de ma famille d’abord. Et aussi Simone de Beauvoir, Benoîte Groult ou Doris Lessing. Je suis très sensible à tout ce qui n’est pas didactique. Ce que j’ai vu de plus féministe récemment, c’est Mad Men. Car ce qui caractérise la place des femmes dans l’histoire, c’est leur invisibilité. L’invisibilité de leur travail, de leur création, de leur existence. Tout ce qui contribue à les rendre visibles et à souligner leur invisibilité est féministe.

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