mercredi 2 juillet 2014

QUESTION DE GENRE: OU EST LA PLACE DES HOMMES?

Par Edouard in Enseignants pour l'enfance

La guerre faite aux garçons : un épilogue
Par Aristide

En complément de mon compte-rendu de "The war against boys", il m’a semblé intéressant de vous présenter le texte suivant, paru récemment dans l’excellent City Journal et traduit par votre serviteur, pour votre plus grand plaisir je l’espère, ou du moins pour votre instruction. J’ai mis en lien dans le texte certaines des études citées dans l’article, celles qui sont accessibles en ligne.
Point n’est besoin de vous présenter davantage cet article : vous comprendrez immédiatement en le lisant pourquoi je l’ai choisi. Il me reste donc simplement à vous souhaiter une bonne lecture.

 Boy trouble

Kay Hymowitz, The City Journal, Autumn 2013

Lorsque j’ai commencé, il y a environ deux décennies, à m’intéresser aux recherches portant sur le bien-être des enfants, celles-ci se focalisaient presque toujours sur les problèmes touchant les filles : leur manque d’estime d’elles-mêmes, leur faible ambition, leurs troubles du comportement alimentaire, et, plus inquiétant que tout le reste, les taux de grossesse élevés chez les adolescentes. Aujourd’hui, cependant, avec des taux de natalité parmi les adolescentes ayant baissé de plus de 50% par rapport au maximum atteint en 1991 et avec les filles dominant les salles de classe et les cérémonies de remise de diplômes, l’attention se porte de plus en plus sur les garçons et les hommes. Leurs résultats scolaires, au collège et au lycée, et leurs taux d’inscription à l’université ont stagné depuis des décennies. Parmi les garçons issus des catégories pauvres et ouvrières, les chances de quitter les tréfonds du marché du travail – et de devenir des époux et des pères fiables – sont de plus en plus faibles.


Les économistes se sont interrogés. « Le fait le plus important, le plus étonnant que je connaisse dans le domaine de la science sociale à l’heure actuelle est que les femmes ont été capables d’entendre le marché du travail qui leur criait : « Vous devez augmenter votre niveau d’étude » et qu’elles ont été capables d’y répondre, alors que les hommes n’en ont pas été capables », a expliqué Michael Greenstone du MIT au New York Times. Si les garçons étaient aussi rationnels que leurs sœurs, sous-entendait-il, ils auraient dû rester à l’école, acquérir des diplômes, et cirer leurs mocassins à 7h30 du matin les jours de semaine. Au lieu de quoi, le sexe rationnel, le proto-homo economicus, tourne le dos à l’école et se résigne à une vie de manutentionnaire. Comment cela se fait-il ?

Ce printemps, un autre économiste du MIT, David Autor, et son coauteur Mélanie Wasserman, ont proposé une réponse. La raison des performances scolaires médiocres des garçons, soutenaient-ils, était le nombre croissant de foyers où le père était absent. Leur théorie suggérait que les garçons et les jeunes hommes ne se conduisaient pas de manière rationnelle parce que leur environnement familial ne leur permettait pas de développer les comportements et les compétences nécessaires pour s’adapter à des conditions sociales et économiques changeantes. L’article suscita un bref intérêt puis disparu des écrans radar. C’est fort dommage, car l’affirmation selon laquelle l’éclatement des familles aurait eu un impact particulièrement négatif sur les garçons, et par conséquent sur les hommes, est appuyée sur un corpus de recherches considérable en biologie et en psychologie. Tous ceux qui s’intéressent à la détresse des hommes issus des catégories pauvres et ouvrières de la population – et plus largement à la question de la mobilité sociale et au Rêve Américain – devraient la placer au centre du débat public.

En fait, les signes que l’effondrement de la famille nucléaire durant le demi-siècle écoulé a eu des effets particulièrement négatifs sur le bien-être des garçons, ne sont pas nouveaux. Durant les années 1970 et 1980, les chercheurs travaillant sur la famille qui suivaient les enfants de la révolution du divorce remarquèrent que, alors que filles et garçons montraient de la souffrance lorsque leurs parents se séparaient, ils manifestaient leur mal-être de manières différentes. Les filles avaient tendance à « internaliser » leur tristesse : elles devenaient anxieuses et dépressives, et beaucoup s’automutilaient ou bien sombraient dans la drogue ou l’alcool. Les garçons, en revanche, « externalisaient » ou « passaient à l’acte » : ils devenaient plus impulsifs, plus agressifs, et « antisocial ». Les deux types de réaction étaient préoccupants, mais le comportement des garçons avait le désavantage de déranger et même d’effrayer les camarades de classe, les enseignants, et les voisins. Les garçons venant de foyers désunis étaient plus susceptibles que les autres d’être exclus à l’école ou d’être arrêtés par la police. Le mal-être des filles semblait aussi diminuer au bout d’un ou deux ans après le divorce de leurs parents ; pas celui des garçons.

Depuis lors, le fait que les garçons externalisent a été une conclusion constante des recherches concernant les enfants des familles monoparentales. Dans une étude longitudinale bien connue portant sur les enfants de mères adolescentes (presque toutes célibataires), le sociologue Frank Furstenberg, un doyen des études familiales à l’Université de Pennsylvanie, avait trouvé « des niveaux alarmants de pathologie parmi les garçons. » Ils étaient plus fréquemment toxicomanes, plus fréquemment impliqués dans des activités criminelles, et plus souvent en prison que les quelques garçons inclus dans l’étude ayant grandis dans des familles où les parents étaient mariés. A l’âge adulte « les filles de l’échantillon présentaient des indicateurs beaucoup plus favorables que les garçons dans tous les domaines à l’exception de celui portant sur la parentalité précoce », notait Furstenberg. « Ces différences entre les sexes l’emportaient largement sur tous les autres facteurs pour expliquer le niveau global de réussite à la génération suivante. »
Dans les années 1990, alors que le taux de divorce diminuait et que les rangs des mères n’ayant jamais été mariées s’élargissaient pour inclure davantage de femmes de 20 à 30 ans, les chercheurs purent exclure le traumatisme provoqué par la séparation des parents ou par le fait d’être une mère adolescente comme explications premières des handicaps.
Même en contrôlant pour l’âge de la mère et pour l’histoire matrimoniale des parents, les garçons élevés dans des familles dont le père était absent rencontraient davantage de difficultés que leurs sœurs et que leurs pairs masculins dont les parents étaient mariés. Autor et Wasserman citent une vaste étude effectuée par deux sociologues de l’université de Chicago, Marianne Bertrand et Jessica Pan, qui montre que, au niveau du CM2, les garçons élevés sans père sont plus perturbateurs que leurs pairs venant de familles intactes, et que, en classe de 4ème, ils présentent une probabilité nettement plus élevée de faire l’objet d’une exclusion temporaire. Les auteurs résument ainsi les résultats de leurs recherches : « Les disparités entre filles et garçons, en ce qui concerne les comportements perturbateurs, au niveau du CM2, et les exclusions au niveau de la 4ème, … sont plus faibles dans les familles intactes. » « Toutes les autres structures familiales paraissent préjudiciables pour les garçons » (les italiques ne sont pas dans l’original). A l’extrémité du spectre, « externaliser » peut signifier n’importe quoi, de la délinquance (vol, dégradation de propriété, participation à un gang) à l’agression violente et au meurtre.

Les experts de la délinquance des mineurs savent depuis longtemps que les établissements pour mineurs et les prisons pour adultes sont pleines des fils des familles désunies. Une enquête du ministère de la justice datant de 1994 montrait que 57% des prisonniers n’avaient pas grandi avec leurs deux parents, bien qu’il soit difficile d’obtenir des chiffres précis étant donné que le ministère de la justice ne conserve pas de manière systématique les antécédents familiaux des détenus. Plusieurs autres études, se basant sur d’autres sources, ont comblé certaines de ces lacunes. Les garçons qui grandissent dans des milieux pauvres, qui sont nés d’une mère adolescente ou bien dont les parents ont un faible niveau d’études sont tous plus susceptibles d’avoir des ennuis avec la loi que leurs pairs moins défavorisés. Selon un article écrit par les professeurs Cynthia Harper et Sara McLanahan, même en tenant compte de tous ces facteurs de risque « les adolescents dont le père est absent continuent de présenter un risque élevé d’incarcération. »

La gauche (liberals) suppose en général que les problèmes sociaux de ce genre proviennent de l’insuffisante générosité de notre système d’aide pour les mères célibataires et leurs enfants. L’idée est que si nous accordions davantage de congés maternité, si nous construisons plus de crèches de qualité, si nous fournissions plus de services médicaux, une bonne partie des désavantages liés au fait de grandir dans une famille monoparentale disparaitraient. Cependant le lien entre criminalité et absence du père existe même dans les pays ayant des systèmes de sécurité sociale très généreux. Une étude finlandaise de 2006, par exemple, portant sur 2700 garçons, concluait que vivre dans un foyer désuni à l’âge de huit ans était associé avec une grande variété de comportements délictueux.

Il n’est pas nécessaire que le fait d’externaliser conduise les garçons devant le tribunal pour mineurs pour que cela nuise à leurs perspectives. Plusieurs études sont arrivées à la conclusion que les garçons élevés dans des familles monoparentales ont moins de chances d’aller à l’université (college) que les garçons ayant le même niveau scolaire mais élevés par des parents mariés ; les filles ne présentent pas une telle différence. Autor cite un article de l’American sociological review selon lequel les garçons dont le père est absent ont moins de chance d’obtenir un diplôme universitaire que les filles ayant le même type d’environnement familial, y compris lorsque leurs performances au lycée sont identiques à celles des filles. Une autre étude, effectuée par Brian Jacob de la Kennedy School of government de l’université de Harvard, et intitulée « Là où les garçons ne sont pas », a relevé des différences similaires entre les fils et les filles de parents célibataires dans leur présence à l’université. Un fait relié au précédent : les femmes possèdent actuellement 67% de tous les diplômes universitaires du premier degré décernés aux Afro-américains, le groupe démographique ayant le taux le plus élevé de monoparentalité aux Etats-Unis, et peut-être dans le monde.

Que la population des Etats-Unis comporte une proportion élevée de « mères célibataires », comme disent les Européens, contribue à expliquer le malaise du rêve américain, si souvent déploré. Lorsque les économistes estiment la probabilité qu’un enfant né de parents dont les revenus se situent dans le quintile le plus bas s’élèvera à l’âge adulte vers un quintile supérieur, les Etats-Unis obtiennent de très mauvais résultats en comparaison d’autres pays occidentaux. En fait, de nombreuses études ont confirmé que l’ascension sociale est plus faible aux Etats-Unis que dans n’importe quel pays développé, y compris l’Angleterre, patrie de la pairie. Cependant, si vous examinez le cas des garçons séparément de celui des filles, comme l’ont fait l’économiste finnois Markus Jäntti et ses collègues de l’IZA (Institute for the Study of Labor, basé à Bonn), l’histoire devient passablement différente. Dans chaque pays étudié, les filles sont plus susceptibles de s’élever dans l’échelle des revenus, mais aux Etats-Unis le désavantage dont souffrent les garçons est substantiellement plus grand que dans d’autres pays. Presque 75% des filles américaines échappent au quintile le plus bas – à peu près comme les filles au Royaume-Uni, au Danemark, en Finlande, en Norvège, et en Suède. Moins de 60% des garçons américains connaissent le même succès. Que les Etats-Unis aient une proportion de mères célibataires significativement plus élevée que les pays qui servent de point de comparaison et que 83% des familles américaines situées dans le quintile le plus bas aient à leur tête une femme seule pourrait être une simple coïncidence. Mais, à en juger par les recherches que nous venons d’analyser, c’est peu probable.

Pourquoi, par conséquent, les garçons élevés par des mères célibataires en souffrent-ils davantage que leurs sœurs ? Si vous posiez la question à une personne ordinaire dans la rue, elle vous donnerait sans doute pour explication une variante ou une autre de la théorie du modèle : les garçons ont besoin de leurs pères car ce sont eux qui leur apprennent à devenir des hommes. La théorie parait de bon sens. Les êtres humains divisent naturellement l’univers en deux catégories, le masculin et le féminin – c’est l’une des premières choses que les enfants remarquent à propos du monde qui les entoure. Les enfants s’inspirent très tôt du parent du même sexe qu’eux, aussi bien pour le langage corporel, que les intonations de la voix, ou la manière de traiter le sexe opposé. Dans les familles où les parents sont mariés, qui plus est, les pères tendent à passer plus de temps avec leurs fils qu’avec leurs filles – et sans doute leur donnent davantage l’exemple. Et quelques indications existent, bien que la question soit loin d’être définitivement réglée, que les garçons qui vivent avec leur père après un divorce s’en sortent mieux que ceux qui restent avec leur mère.

Cependant, en tant qu’explication unique des handicaps dont souffrent les garçons, la théorie du modèle a besoin d’être précisée. Si les garçons avaient simplement besoin d’avoir dans leurs vies des hommes qui leur apprennent à se conduire dans un monde sexué, alors des oncles, des amis de la famille, des mentors, des enseignants, des beaux-pères ou bien des pères n’habitant pas avec eux mais impliqués dans leurs vies pourraient faire l’affaire. Mais il n’est pas clair que cela soit le cas. Les enseignants masculins en tout cas ne semblent pas avoir d’effet sur les résultats scolaires des garçons. Et les recherches montrent que les beaux-pères ont des résultats particulièrement mitigés en ce qui concerne l’aide qu’ils apportent aux garçons. Pour des raisons probablement à la fois psychologiques et biologiques, les hommes ont tendance à être moins attentifs aux enfants de leur conjoint qu’aux leurs. Harper et McLanahan, les universitaires qui ont trouvé que les garçons sans pères couraient plus de risques de finir en prison, ont divisé leur échantillon en deux groupes : celui des garçons vivant avec un beau-père et celui des garçons vivant sans. Le groupe de ceux qui vivaient avec un beau-père présentait un risque d’incarcération encore plus élevé que le groupe de ceux qui vivaient seulement avec leurs mères.

Les pères qui vivent séparés de leurs fils ont eux aussi un effet ambigu, même lorsqu’ils les voient régulièrement. En 2011, deux sociologues de l’université du Wisconsin, Marcia J. Carlson et Katherine A. Magnuson ont examiné l’importante littérature concernant les pères n’habitant pas avec leurs enfants et sont arrivées à la conclusion que le soutien alimentaire pouvait avoir un effet positif. Elles sont également tombées d’accord sur le fait qu’entretenir une relation avec un père absent du foyer pouvait améliorer les perspectives des garçons, mais seulement dans certaines circonstances, assez inhabituelles. Le père doit non seulement être affectueux avec son fils et l’encourager, il doit aussi avoir une bonne relation avec la mère de ce dernier, une situation malheureusement peu fréquente. Des pères absents du foyer mais impliqués dans la vie de leurs enfants ont en fait un effet clairement négatif sur ceux-ci lorsqu’un beau-père est également présent. Dans de telles circonstances, la délinquance des garçons tend à être plus élevée, sans doute parce que la présence d’un beau-père alimente la jalousie et les conflits de territoire. Il semblerait que deux pères soient pires qu’un seul ; il se pourrait même qu’ils soient pires que pas de père du tout.

Ces résultats peuvent nous permettre d’affiner la théorie du modèle. Les garçons et les filles ont de meilleures chances de s’épanouir lorsque leur propre père vit avec eux et avec leur mère durant toute leur enfance – et cela est tout particulièrement vrai pour les garçons (les pères violents ou maltraitants sont, bien sûr, une exception à cette règle).

Pour comprendre pourquoi, pensez à ce que nous savons au sujet des différences de base entre les sexes. Et oui, avec tout le respect dû aux femmes astronautes, générales d’armée ou PDG d’entreprises de technologie, il existe un certain nombre de différences hommes/femmes bien ancrées. La plupart ne surprendront aucun parent ou enseignant de maternelle, mais voici ce sur quoi les spécialistes en neurosciences et sciences cognitives s’accordent. 

En moyenne les garçons sont plus actifs physiquement et plus agités que les filles. Ils se contrôlent moins et sont plus facilement distraits. Leur maturation prend plus de temps. Ils éprouvent plus de difficulté à rester assis tranquillement, à écouter attentivement, et à suivre les règles, particulièrement durant les premières années d’école. 

Il n’est donc pas surprenant qu’ils soient diagnostiqués avec un Trouble du Déficit de l’Attention (TDA) trois fois plus souvent que les filles. Ils constituent 70% des élèves faisant l’objet d’une exclusion temporaire dans le primaire et le secondaire et 67% des élèves de l’éducation spécialisée. Pour reprendre les termes de Sa majesté des mouches, nous pourrions dire que les garçons ont besoin d’être davantage « civilisés » que les filles. Ils ont besoin de plus de repères, plus de rappels à l’ordre, et plus de punitions pour apprendre à contrôler leur agressivité et à bien se tenir. Les garçons – pas les filles – ont souvent besoin de cours spécialisés (remedial education) pour apprendre à rester assis tranquillement, pour regarder la personne qui leur parle, pour finir le travail qu’ils ont commencé. De nos jours, les experts pourraient le dire ainsi : les garçons viennent au monde avec moins de capital humain naturel que les filles. Cela n’est pas vrai pour les capacités cognitives, dont les variations n’expliquent pas les difficultés des garçons. Le problème, ce sont les « compétences relationnelles ». « Le succès dans la vie dépend de traits de caractère que ne saisissent pas bien les tests cognitifs » affirme le prix Nobel d’économie James Heckman. « La conscience professionnelle, la persévérance, la sociabilité, et la curiosité sont importantes ». Pour au moins trois de ces qualités, les garçons sont juste naturellement plus lents.

Les implications pour la vie familiale sont profondes. Les parents qui élèvent seuls leurs enfants ont tendance à avoir plus de mal à apporter aux garçons l’ordre et la stabilité qui les aident à devenir des élèves puis des travailleurs compétents. La pauvreté aggrave incontestablement le problème : selon une étude de 2011 menée par une équipe de neuropsychologues de Berkeley,  les enfants venant de familles à faibles revenus ont, en général, une « fonction exécutive » plus faible, c’est-à-dire notamment moins de contrôle de soi et de flexibilité cognitive, que les enfants dont la famille appartient à la classe moyenne. Mais dans cette étude les enfants pauvres vivant dans un foyer monoparental présentaient de plus mauvais résultats que les enfants pauvres dont les parents étaient mariés. Cela est probablement dû au fait que les parents non mariés se séparent plus fréquemment, s’engagent dans de nouvelles relations, parfois à répétition, et introduisent dans la vie de leurs enfants des beaux-parents, des demi-frères et sœurs, et les enfants de leurs nouveaux conjoints. Les parents qui cohabitent sans être mariés ont trois fois plus de risques de se séparer avant le cinquième anniversaire de leur enfant que les parents mariés. De nombreuses études ont montré que chacune de ces « transitions » entraine chez les garçons des troubles du comportement et de l’attention et un surcroit d’agressivité.

Bien sûr, beaucoup de mères célibataires apportent - ou s’efforcent d’apporter – la stabilité dont les garçons ont besoin. Mais il serait naïf d’imaginer que des parents puissent individuellement s’isoler de leur voisinage et de ses groupes d’enfants. Les ménages dirigés par une mère seule habitent souvent dans les quartiers pauvres des villes. Même la mère la plus consciencieuse ne peut pas toujours protéger un garçon, particulièrement un garçon remuant et impulsif, contre une culture dans laquelle les gangs ont remplacé les pères, où la menace de la violence est constante, et où les écoles sont pleines de garçons apathiques ou agressifs. Une récente étude menée par The Equality of Opportunity Project qui a connu beaucoup de retentissement a trouvé, en examinant la mobilité sociale selon les régions, que les territoires avec une proportion élevée de familles monoparentales connaissaient moins de mobilité sociale – y compris pour les enfants dont les parents sont mariés. L’inverse était vrai aussi selon cette même étude : les territoires avec une proportion élevée de couples mariés amélioraient le sort de tous les enfants, y compris ceux qui vivent dans des foyers monoparentaux. En fait, la structure familiale dominante sur un territoire était la variable explicative la plus importante – plus importante que la race ou le niveau d’étude. Cette étude laisse penser que le fait d’avoir beaucoup de pères mariés à un endroit donné crée un capital culturel qui aide non seulement, mettons, le fils de l’entraineur de baseball, mais aussi tous les enfants du club.

Si les tendances des quarante dernières années se confirment – et il n’existe guère de raison de penser qu’elles ne le feront pas – le pourcentage de garçons qui sont élevés par une mère célibataire continuera à s’accroitre. Personne ne sait comment arrêter cette vague. Mais en comprenant comment l’instabilité familiale rentre en interaction avec la nature agitée des garçons, les éducateurs pourraient essayer des approches qui seraient susceptibles d’améliorer au moins quelques vies. Les éducateurs et les psychologues ont souvent décrit les garçons comment « ayant besoin de règles claires » ou bien « tirant parti du fait d’être encadrés ». Pour les cas les plus difficiles, ils ont recommandé les académies militaires ou bien des programmes rigoureux d’éducation au grand air (tel Outward bound), qui offrent des activités quotidiennes pour canaliser et organiser l’énergie des garçons.

Dans son livre fondateur, The war against boys, réédité récemment avec une nouvelle préface, Christina Hoff Sommers citait un certain nombre de pays, parmi lesquels l’Australie, le Canada et l’Angleterre, qui ont lancé des réformes scolaires afin de « développer un environnement plus structuré » pour les garçons en difficulté. Bien que ces réformes ne ciblent pas pour le moment les enfants élevés par des mères célibataires, il ne fait pas de doute qu’elles toucheront ces enfants de manière disproportionnée. Certaines de ces recommandations semblent être de bon sens mais, après des décennies de déni concernant les différences entre les sexes, il est devenu nécessaire de les expliquer. Tout d’abord : donner aux garçons beaucoup de temps de sport et de récréation. Comme nous l’avons vu précédemment, il existe un consensus sur le fait que les garçons ont plus de mal à rester assis tranquillement pendant de longues périodes et qu’ils ont davantage besoin de pouvoir s’ébattre. Cependant, dans les dernières décennies, à cause du manque de temps, à cause du manque de place et, probablement aussi, à cause des risques de procès que peuvent faire courir les garçons turbulents, les écoles ont réduit – et, dans certains cas, totalement supprimé – les temps de récréation. Dans le même esprit, certaines écoles ont interdit aux élèves de jouer à la balle au prisonnier, au tir à la corde, à chat, ou à d’autres jeux un peu brutaux. Pourtant, c’est précisément à travers de telles activités que les garçons peuvent apprendre à canaliser leur énergie et leur agressivité dans le cadre de règles acceptées par tous. Un certain nombre d’études menées à petite échelle laissent penser que de chahuter avec un parent produit les mêmes effets, et en pratique ce parent est presque toujours le père. Pour beaucoup de garçons vivant dans des familles monoparentales, les moments de jeu avec leurs pères sont rares ou inexistants. Ils pourraient avoir besoin que l’école leur donne cette possibilité de se livrer à de tels jeux violents mais contrôlés.

Tout aussi important est le fait de trouver le moyen d’améliorer le niveau d’alphabétisation des garçons. Les garçons ont toujours eu plus de mal à apprendre à lire que les filles – et ceci est vrai pour tous les milieux sociaux et pour tous les pays dans lesquels les 15-16 ans sont soumis à des tests PISA. A l’ère industrielle, lorsque les emplois non qualifiés et correctement rémunérés étaient abondants, cela ne posait pas tellement problème. De nos jours, les difficultés de lecture d’un garçon peuvent ruiner ses chances de réussir dans la vie, l’empêchant d’étudier des matières telles que l’histoire ou les sciences. Trop souvent, les enfants qui éprouvent des difficultés à lire se désintéressent de l’école et finissent par abandonner. Sommers estime que les enseignants ne donnent pas à lire suffisamment de récits susceptibles de plaire aux garçons, de l’action ou de la science-fiction, avec des héros, des méchants, des sauvetages, et des fusillades. Quelques études laissent également penser que la méthode phonétique réussirait particulièrement bien aux garçons, ce qui semble logique puisque cette approche est très structurée et basée sur des directives précises.

La vérité est que nous ne savons pas avec certitude ce qui pourrait marcher. Il existe une tendance, lorsque l’on est confronté à ce genre de problèmes d’apprentissage, à conclure hâtivement au sujet de notre cerveau infiniment complexe et de ses réactions à des stimuli infiniment complexes. Les écoles et les programmes fleurissent un peu partout pour répondre aux « styles d’apprentissage » différents des garçons. La science, cependant, reste indécise concernant l’existence de ces différences, sans même parler des techniques pédagogiques qui permettraient d’y faire face. La meilleure manière de faire est sans doute de suivre le conseil donné par le sociologue Jim Manzi et de commencer avec des études à petites échelles qui se prêtent à une évaluation approfondie – et de continuer à expérimenter (voyez « What social science does – and doesn’t – know »).

Cependant, ce qui demeure également inconnu est une possibilité que la science ne saurait tester. Il se pourrait tout simplement que les garçons qui grandissent dans un environnement où les pères – et les hommes en général – apparaissent comme superflus, soient confrontés à un problème existentiel.

Où est ma place dans tout cela ? Qui donc a besoin de moi, de toute façon ? Les garçons constatent que les hommes sont devenus optionnels dans la vie de beaucoup de familles et de beaucoup de communautés et cela ne peut manquer de rabaisser leurs aspirations. 

Résoudre ce problème nécessitera bien davantage qu’un bon programme d’alphabétisation.

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